Le Nouvelliste | Publié le : 2013-01-14
« Un Etat ne peut pas progresser sans une conscience des fondements de sa culture, de ce qu’il est», déclare le ministre de la Culture Mario Dupuy, qui a donné une entrevue au journal Le Nouvelliste.
Le Nouvelliste : Vous êtes ministre de la Culture depuis huit mois. Comment qualifieriez-vous votre expérience à la tête de ce ministère qui, il faut bien le dire, dispose d’un faible budget ?
Mario Dupuy : Satisfaisante. Mais comme nos attentes sont extrêmement élevées et nos préoccupations grandes, ce que nous avons réalisé est encore loin de répondre à tous les besoins. Nous aurions aimé par exemple qu’en huit mois le pays dispose d’une salle de spectacle convenable et appropriée. Nous aurions aimé protéger les droits des créateurs, leur permettre de vivre de leurs œuvres en leur donnant de la visibilité. Mon rêve, c’est de voir ces artistes s’écrouler sous des contrats avec des offres alléchantes proposées ici et ailleurs
LN: Depuis votre installation en mai 2012, avez-vous réussi à changer des choses au ministère de la Culture ?
MD: Effectivement depuis mon installation, il y a eu beaucoup de changements. D’abord, le rôle du ministère a changé. Ma préoccupation était d’organiser le ministère de manière à ce qu’il ne soit pas à la fois juge et partie. Il est en même temps régulateur, c’est-à-dire qu’il lui revient de définir la règlementation pour le secteur. Il lui faut aussi établir des normes à respecter en termes de structures d’accompagnements des producteurs et des créateurs, pour la mise en œuvre des activités culturelles. Notre vision et notre politique consistent à renforcer les structures du ministère de manière à permettre aux opérateurs culturels d’avoir suffisamment de moyens pour pouvoir évoluer et produire des richesses.
LN : Samedi 12 Janvier 2013, trois ans jour pour jour depuis qu’un séisme a ravagé notre pays. Votre ministère organisera-t-il un événement pour commémorer cette date ?
MD : Ce n’est pas seulement le ministère de la Culture qui a un devoir de mémoire, c’est tout l’Etat haïtien et l’ensemble du gouvernement qui observeront un moment de recueillement. Nous faisons notre deuil avec le souci de ne pas nous enfermer dans la douleur. Il faut absolument se tourner vers l’avenir, sans oublier les disparus et garder en souvenir cette solidarité dont on a fait preuve. En 2012, nous avions fait face à deux catastrophes, le cyclone Isaac suivi de l’ouragan Sandy qui ont causé des pertes et des dégâts considérables sur l’ensemble du pays, ce qui a affecté notre économie. Le gouvernement a dû décréter l’état d’urgence. Vu la conjoncture, la commémoration sera cette année beaucoup plus symbolique.
LN : Parlant d’intempéries, que fait le ministère pour sauvegarder les éléments du patrimoine endommagés par les catastrophes naturelles?
MD : Des inventaires disparates ont été effectués par des institutions étrangères beaucoup plus que par des institutions d’ici. C’est pourquoi nous avons mis au point le projet d’inventaire du patrimoine. Il a pour objectif de concilier toutes les données, les compléter, les intégrer dans un cadre national. Il est en train d’être exécuté dans un partenariat avec le ministère de la Culture, l’université d’Etat d’Haïti et l’université Laval à Québec. Il ne s’agira pas seulement de répertorier des patrimoines endommagés par les intempéries, comme la Citadelle Laferrière qui porte les fissures du séisme de 1842. Nous allons aussi à la sauvegarde des patrimoines immatériels comme les « lakou ». Nous avons déjà entamé le travail de réhabilitation en commençant par trois « lakou » emblématiques qui sont « Souvnans », « Badio » et « Soukri ».
LN : Les « lakou » ne sont pourtant pas les seuls patrimoines immatériels. Pourquoi avoir choisi de mettre l’accent sur ceux-ci ?
MD :En effet, il n’y pas que les « lakou ». Par exemple, le Parc national historique pour lequel le gouvernement haïtien, tout comme pour la Citadelle, a décrété l’état d’urgence. Pour le Parc, il y a eu une réponse institutionnelle, avec un comité interministériel composé des ministères de la Culture, du Tourisme, de l’Environnement, de l’Intérieur et des Collectivités territoriales. Le « lakou » n’est pas qu’un lieu de culte. C’est également un lieu social et c’est un lieu culturel, touristique capable de générer des activités économiques. Si l’Etat n’accompagne pas ces pratiques culturelles, elles risquent de disparaître. Les démarches que nous entreprenons actuellement auprès de l’Unesco consistent justement à inscrire les « lakou » dans le patrimoine mondial…
LN : Le carnaval se tiendra dans un mois. Cette année, ce sera une grande première dans le Nord. Concrètement, où en êtes-vous avec l’organisation de ces festivités ?
MD : Nous sommes d’emblée dans les préparatifs. On a constitué un comité national et un comité régional (Nord). Nous travaillons à l’élaboration du budget, la préparation de la logistique et au contenu artistique. Nous promettons mieux que le carnaval des Cayes et le Carnaval des fleurs. Sous le thème « Ann pote kole, yon Ayiti , yon pyebwa, Okap anbake ! », c’est aussi une invitation à visiter la région.
LN : En termes d’infrastructures, pensez-vous que le Cap soit en mesure de recevoir un grand nombre de visiteurs ?
MD : L’année dernière il y avait également des craintes concernant la capacité d’accueil des Cayes et ce fut pourtant un succès. Le Cap dispose d’hôtels et d’auberges, les gites chez les habitants peuvent être une option et des espaces sont en train d’être aménagés pour des campings. Pour renforcer la capacité d’accueil, comme pour les Cayes, un bateau croisière-hôtel jettera l'ancre pas loin de la ville. Ce carnaval sera un fait et un prétexte. Un fait parce que le pari sera une fois de plus gagné, car cette fête populaire aura bel et bien lieu. Un prétexte parce que c’est l’occasion d’amener des milliers de visiteurs dans cette ville pour découvrir ses richesses culturelles et patrimoniales. Exposer les potentialités du Nord, le mettre sous les feux de la rampe sont nos principaux objectifs.
LN : « Istwa n’ se idantite n’ », c’est le thème retenu par le comité régional (Nord) pour le carnaval. C’est une invitation à nous reconnaître à travers notre culture, ce que nous sommes en tant que peuple ?
MD :Un individu ne peut pas vivre sans prendre conscience de son identité, sa culture. Nous sommes habités par notre culture et c’est notre culture qui définit notre existence ainsi que nos rapports avec les autres. C’est ma conception. Un Etat ne peut pas progresser sans une conscience des fondements de sa culture, de ce qu’il est. La culture haïtienne est à la fois diversifiée et riche. Notre culture et notre histoire sont fortes, il faut qu’elles nous nourrissent. Parfois, avec un ensemble de préjugés liés à l’ignorance, nous sommes souvent en conflit avec nous-mêmes.
LN : Vous venez de donner votre perception de la culture, avez-vous des initiatives et projets au ministère qui découlent de cette perception ?
MD : Bien sûr, nous avons sur pied quatre projets structurants : Le projet national d’inventaire du patrimoine que j’ai expliqué tantôt; le projet d’éducation culturelle dans les écoles; le projet d’étude sur les filières culturellement et économiquement viables; puisque nous sommes persuadés que la culture a une forte dimension économique et peut contribuer de manière significative à l’économie nationale. Et finalement, le projet de formation sur les petites et moyennes entreprises culturelles où des artistes seront en mesure, après des formations, de s’organiser, de protéger leurs intérêts liés à la propriété individuelle.
LN : En dehors de ces projets, beaucoup d’artistes veulent produire, ils sont dynamiques et créatifs. Que peuvent-ils attendre du ministère en termes d’espace et de moyens cette année?
MD : Vous savez qu’il y a le projet de réhabilitation du Rex et du Triomphe, et je souhaite que l’un de ces chantiers finisse avant 2013. Il y a beaucoup de contraintes liées aux espaces et aux environs, comme c’est le cas du Théâtre National. Il ne s’agit pas que des bâtiments, nous voulons également un environnement sécurisé et adapté.
Pour les groupes et artistes qui souhaitent obtenir des subventions, la première contrainte est l’état d’urgence décrété cette année. Mais nous avons une politique de subvention liée à la promotion des talents en partant du principe que ces artistes ont déjà fait leurs preuves. Ceux-là auront moins de difficultés pour obtenir des fonds. Les autres naturellement auront beaucoup d’efforts à faire pour exposer leur création, mais ne seront pas négligés. Le ministère va vers eux, déjà avec les soirées hebdomadaires baptisées « pikliz », qui ont révélé des talents sûrs. Nous nous faisons un devoir de les accompagner.
LN : Vous avez parlé tantôt de cette volonté de donner une très grande visibilité aux artistes, comment?
MD : Il y a une dimension internationale que nous voulons donner à la culture haïtienne en termes de promotion. Nous voulons que des demandes nous viennent d’ailleurs. Nous voulons comme exporter des talents. Voilà pourquoi nous avons signé un accord de coopération avec le Mexique qui permettra des échanges culturels très intenses avec Haïti cette année. Il y aura des formations pour des cadres du secteur culturel ainsi que des ateliers de création. Nous travaillons à faire pareille avec Panama. Nous allons réaliser une semaine de l’amitié Haïti-Antigua. Antigua qui, nous le savons, est un carrefour touristique, un moyen pour nous d’exposer notre culture, notre musique et notre danse, notre gastronomie pour nous montrer dans tout ce que nous avons comme potentialités.
lenouvelliste.com/article4.php?newsid=112462#.UPVTRRdva-E.facebook